Afin de capter et exploiter notre attention à leurs profits, les géants du numérique exploitent des mécanismes étudiés par des neuroscientifiques. Découvrez la liste non-exhaustive des engrenages et mécanismes addictifs qui nous retiennent sur nos écrans.
SI vous voulez connaître et reconnaître les mécanismes conçues pour influencer votre navigation en ligne, vous êtes sur la bonne page.
Identifiez les mécanismes addictifs pour mieux les combattre
À l’origine des addictions digitales : l'économie de l’attention
Vous arrive-t-il de vous dire que vous passez trop de temps sur vos écrans ?
Restez-vous souvent plus longtemps que prévu sur vos écrans ?
Cette sensation n’est pas le fruit du hasard : vous êtes au coeur d’une guerre, la guerre pour votre attention.
Question
Notre expérience de vie ne revient-elle pas à tout ce à quoi nous avions prêté attention ? Ne sommes-nous pas ce sur quoi nous choisissons de nous concentrer, la somme de nos concentrations ?
Aujourd’hui, une concurrence de tous les instants a lieu pour pouvoir exploiter notre temps d’attention et le transformer en revenus publicitaires. Les plateformes digitales cherchent à nous garder dans leurs interfaces et à nous mobiliser le plus fréquemment possible. Le cœur du métier de ces entreprises est ainsi de capter notre attention par tous les moyens possibles en nous distrayant et en nous déconcentrant.
Ces grandes entreprises numériques de l’Internet font face à un impératif intéressant mais moralement questionnable : soit elles arrivent à pirater les neurosciences pour agrandir leur part de marché et faire d’immenses profits, soit elles laissent la concurrence le faire et partir avec le marché.
Bill Davidow, The Atlantic, Exploiting the Neuroscience of Internet Addiction, 2012
Mécaniquement, la compétition pour notre attention dégrade toujours plus les contenus auxquels nous sommes confrontés. Les géants du web nous tourne vers les liens les plus sinistres, choquants ou scandaleux.
Un parallèle peut être établi entre capitalisme industriel et capitalisme numérique. Hier, le premier s'est développé à partir de l’appropriation de la nature et l’extraction des matières premières. Aujourd’hui, le second extraie et exploite les données personnel et comportemental.
Shoshana Zuboff, L'ère du capitalisme de surveillance, Zulma, 2020
De plus en plus, la technologie exploite nos faiblesses psychologiques, sociales et cognitives. Pour nous maintenir dans ses interfaces, l’industrie numérique conçoit des systèmes d’exploitation et des applications qui jouent sur nos instincts les plus basiques pour attirer et retenir notre attention. Par le biais de micro-excitation et de micro-sensations permanentes, nous devenons accros à nos appareils numériques et le monde réel finit par sembler plus fade, plus dur.
Ces engrenages sont conçues par des chercheurs pour le plus grand profit des plateformes numériques. Le plus célèbre dans ce domaine est sans doute le docteur en informatique B.J. Fogg.
Fondateur et dirigeant du Persuasive Technology Lab, Fogg compte parmi les personnalités les plus influentes de la Silicon Valley. Il est l’homme à qui on doit le succès de nombreuses start-ups, notamment Instagram.
J’essaie de trouver comment les ordinateurs peuvent changer ce que les gens pensent et ce que les gens font. Et comment ces ordinateurs peuvent produire ces changements de façon autonome. Quand je parle des ordinateurs, je parle en fait de toutes les expériences numériques.
B. J. Fogg, docteur en informatique, dirigeant et fondateur du Persuasive Technology Lab
Trève de présentation, il est temps de vous présenter les principaux mécanismes qui nous maintiennent sur les écrans bien plus longtemps que nécessaire.
Récompenses aléatoires
Les applications et les sites Internet proposent des récompenses à intermittence variable partout dans leurs produits. Quand nous consultons un contenu ou une interaction qui nous plaît, nous recevons une récompense sous forme de dopamine (l’hormone du plaisir ET de la dépendance).
Je peux contrôler ma décision, c'est-à-dire, que je n'utilise pas cette m*rde. Je peux contrôler les décisions de mes enfants, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas autorisés à utiliser cette m*rde... Les boucles de rétroaction à court terme basées sur la dopamine que nous avons créées détruisent le fonctionnement de la société.
Chamath Palihapitiya, ancien dirigeant chez Facebook
Le professeur Burrhus Skinner a révélé les biais comportemental que produisent ces récompenses aléatoires. L’imprévisibilité génère un désir compulsif qui finit en addiction. Le caractère aléatoire de ce mécanisme, que l’on retrouve dans les machines à sous, empêche toute possibilité de maîtriser ses usages. Il maximise les chances d’addiction d’autant plus que notre smartphones est une machine à sous toujours à portée de main.
Les récompenses variables sont l’un des outils les plus puissants que les entreprises utilisent pour accrocher les utilisateurs. La recherche montre que le corps sécrète d’importantes quantités de dopamine dès lors que le cerveau s’attend à une récompense. Or l’introduction de la variabilité multiplie l’effet, créant un état de chasse frénétique, qui inhibe les zones du cerveau associées au jugement et à la raison tout en activant celles associées au désir et à l’exercice de la volonté.
Nir Eyal - Auteur de Hooked : comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes
Si les applications sont conçues pour nous rendre dépendants, en avoir conscience, c’est déjà un premier pas vers la désintoxication.
Peur de manquer sans limite
Chaque application cherche à nous persuader qu’elle est un canal essentiel pour les renseignements importants, les amitiés ou les partenaires sexuelles potentiels.
Une fois convaincu, il nous sera très difficile de ne pas l’installer et de s’en passer parce que nous pourrions manquer quelque chose d’important : manquer le sujet dont discutent nos amis sur Messenger, une information importante, etc. C’est la peur de manquer quelque chose, le fameux FOMO.
Cette peur est désormais si répandue que l’acronyme anglais est couramment utilisé en français. Au sens premier du terme, il désigne les tensions que provoque en nous le fait de savoir autant de choses sur la vie des autres par le biais des médias sociaux. Voyant que tant de nos amis font tellement de choses fantastiques, nous nous mettons à les envier et à avoir des doutes sur la valeur de notre propre existence.
Sherry Turkle, Les yeux dans les yeux, 2020
Problème, ce phénomène est sans limite : nous manquerons toujours quelque chose d’important. Ce que nous ne voyons pas ne devrais pourtant pas nous manquer.
Chantage à l’approbation sociale
Le besoin d’appartenir à un groupe, d’être approuvé ou apprécié par nos pairs font partie des besoins humains les plus importants.
Internet nous permet de partager nos opinions avec n’importe qui, partout dans le monde, mais il favorise l’entre-soi, en créant des espaces où nous ne sommes jamais confrontés à des personnes d’un avis différent du nôtre. Des études ont montré que les gens n’aiment pas publier des contenus qui ne recueilleront pas l’approbation de leurs abonnés. Tout le monde veut obtenir des “like”.
Sherry Turkle, Les yeux dans les yeux, 2020
Désormais, l’approbation sociale est controlée par les géants du web. Le like est ainsi devenu la forme ultime de l’approbation de toute action réalisée sur les réseaux sociaux.
Chantage à la réciprocité sociale et asymétrie de la perception
Le but des plateformes web est d’augmenter le temps que nous passons chez elles et les interactions que nous avons. Ces dernières instrumentalisent notre grande sensibilité à la réciprocité des gestes pour remplir leurs objectifs.
Cette vulnérabilité psychologique est particulièrement exploitée par les plateformes et services du web : les e-mails, les textos et les applications de messagerie sont des usines à réciprocité sociales.
Nombre de plateformes exploitent l’asymétrie de perception que nous en avons. Lorsque vous recevez une invitation de quelqu’un, vous imaginez que cette personne a fait un choix conscient pour vous inviter, alors qu’elle a certainement répondu inconsciemment à la liste de profils à contacter qui lui sont suggérés par le système.
Séries addictives basées sur l'effet Zeigarnik
La complétude ou effet Zeigarnik désigne la tendance à mieux se rappeler une tâche qu’on a réalisée si celle-ci a été interrompue alors qu’on cherche par ailleurs à la terminer. Le fait de s’engager dans la réalisation d’une tâche crée une motivation d’achèvement qui resterait insatisfaite si la tâche est interrompue.
Certaine plateforme utilise ce biais psychologique et propose un ensemble d’étapes liées devant être enchaînées. Soumis à ce mécanisme, l’usager ne ressent de la satisfaction qu’à la fin de la série d’actions et oublie tout libre arbitre lors des différentes actions.
Les séries sont en général conçue à partir de la théorie de la complétude afin de transformer l’habitude en addiction. Créer une frustration liée au visionnage incomplet permet de pousser l’usager à rester le plus longtemps possible sur la plateforme. Cet engrenage est renforcé par la lecture automatique qui permet d’enchaîner les épisodes sans avoir à faire le moindre geste ou exprimer sa volonté.
Peu importe la valeur de chaque action, il n’y a délivrance qu’à la fin de l’exécution de l’ensemble des tâches proposées. La plate-forme de vidéo par abonnement Netflix ne fonctionne pas autrement. La programmation par les chaînes de télévision d’une série à raison d’un épisode par semaine vise à créer un rituel, une habitude. Il s’agit d’opérer un dosage subtil : satisfaire le téléspectateur pour lui donner une raison de revenir, mais aussi le frustrer de façon modérée avec une arche narrative non résolue pour qu’il n’oublie pas de le faire.
Bruno Patino, La civilisation du poisson rouge, 2019
Les séries sont en général conçue à partir de la théorie de la complétude afin de transformer l’habitude en addiction. Créer une frustration liée au visionnage incomplet permet de pousser l’usager à rester le plus longtemps possible sur la plateforme. Cet engrenage est renforcé par la lecture automatique qui permet d’enchaîner les épisodes sans avoir à faire le moindre geste ou exprimer sa volonté.
Scrolling infini
Pour que nous passions le plus de temps possible dans leur interface, les plateformes digitales privilégient les flux défilant sans fin et les vidéos en lecture automatique. Ces interfaces suppriment toute raison de faire une pause, de reconsidérer ce que nous sommes en train de faire.
Une étude du professeur de psychologie Brian Wansinka a montré que l’on pouvait amener les gens à manger bien au-delà de leurs limites en leur proposant de la soupe dans un bol sans fond, qui se remplit automatiquement à mesure que l’on mangent. Avec des bols de ce type, les gens mangent 73 % de calories de plus que ceux qui ont des bols normaux. Pensez-y.
La mise en alerte constante que nous subissons (trop souvent) via des notifications ruine nos capacités d’attention et provoque un nombre incalculable d’interruptions inutiles chaque jour.
Les messages qui nous interrompent immédiatement sont plus convaincants pour nous amener à répondre que les messages délivrés de manière asynchrone. L’interruption instantanée renforce le sentiment d’urgence et la réciprocité sociale.
C’est à dessein qu’Internet est un système d’interruption, une machine conçue pour diviser l’attention. Cela ne vient pas seulement de ce qu’il peut montrer un grand nombre différents types de médias en même temps. Cela vient aussi de la facilité avec laquelle il peut être programmé pour envoyer et recevoir des messages.
Nicholas Carr, Internet rend-t-il bête ?, 2010
Celui qui contrôle le menu contrôle les choix de l’utilisateur.
Les plateformes facilite les choix qu’elles veulent nous faire réaliser et nous compliquer la tâche qu’elles ne veulent pas que nous fassions (nous désinscrire, etc.). Si tous les choix sont disponibles, tous ne sont pas accessibles avec la même facilité.
Ces dernières entremêlent leurs motivations aux nôtres. Faire que ce que vous voulez devient inséparable de ce que l’entreprise veut de vous.
Pourquoi nous propose-t-on certaines options et pas d’autres ? Quels sont les objectifs de ceux qui les propose ? La liste des notifications de notre téléphone correspond-elle à ce qui nos besoin ?
Il faut se demander si ce choix est un outil utile à nos besoins ou s’il créé seulement une distraction chronophage.
Flow personnalisé captivant
Un grand nombre de jeux très simples en apparence (comme Candy Crush) ou de services de streaming xmusical sont fondés sur la théorie de l’expérience optimale. Plus connu sous le nom de “Flow”, ce mécanisme se caractérise par l’absorption totale d’une personne par son occupation. Les algorithmes de ces plateformes proposent une expérience personnalisée à chaque joueur.
Ces jeux sont basés sur le Dynamic game difficulty balancing, un processus de modification automatique des paramètres, des scénarios et des comportements dans un jeu vidéo, en fonction de la capacité du joueur, afin d’éviter de l’ennuyer ou de le frustrer. Les scores et les classements sont biaisés et le seul objectif est de garder le joueur le plus longtemps et le plus souvent possible au sein de l’interface.