Dans La Fabrique du crétin digital, Michel Desmurget, docteur en neurosciences, s’intéresse à l’impact de l’explosion digitale sur les enfants et adolescents. Il ne s’agit pas pour lui de dénoncer “le” numérique dans son ensemble mais de montrer en quoi la surexposition des enfants aux écrans est un véritable fléau aux conséquences dramatiques.
La Fabrique du crétin digital
Michel Desmurget est docteur en neurosciences et chargé de recherche au CNRS pour le centre de neuroscience cognitive de Lyon. Il a vécu près de 8 ans aux États-Unis, travaillant pour le compte de plusieurs universités américaines, dont le MIT, l’université Emory et l’université de Californie à San Francisco. En 2011, il est directeur de recherche à l’INSERM.
La consommation du numérique sous toutes ses formes – smartphones, tablettes, télévision, etc. – par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4 h 45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6 h 45. En cumuls annuels, ces usages représentent autour de 1 000 heures pour un élève de maternelle (soit davantage que le volume horaire d’une année scolaire), 1 700 heures pour un écolier de cours moyen (2 années scolaires) et 2 400 heures pour un lycéen du secondaire (2,5 années scolaires).
Contrairement à certaines idées reçues, cette profusion d’écrans est loin d’améliorer les aptitudes de nos enfants. Bien au contraire, elle a de lourdes conséquences : sur la santé (obésité, développement cardio-vasculaire, espérance de vie réduite…), sur le comportement (agressivité, dépression, conduites à risques…) et sur les capacités intellectuelles (langage, concentration, mémorisation…). Autant d’atteintes qui affectent fortement la réussite scolaire des jeunes.
« Ce que nous faisons subir à nos enfants est inexcusable. Jamais sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une telle expérience de décérébration n’avait été conduite à aussi grande échelle », estime Michel Desmurget. Ce livre, première synthèse des études scientifiques internationales sur les effets réels des écrans, est celui d’un homme en colère. La conclusion est sans appel : attention écrans, poisons lents !
L'exposition aux écrans récréative des enfants est colossale
La consommation numérique récréative des enfants et des adolescents est colossale.
- 50 minutes par jour pour les moins de 2 ans
- 3h par jour pour les 2 à 8 ans
- 4h40 par jour pour les 8 à 12 ans
- 6h40 pour les 13 à 18 ans
- Plus tôt l’enfant est confronté aux écrans, plus il a de chances d’en devenir un usager assidu.
- Chez l’enfant et l’adolescent, seul 3% du temps passé sur l’écran est destiné à un usage créatif. Les 97% sont consacrés à un usages récréatifs.
- La consommation numérique a généralement lieu quand les parents ne sont pas présents.
- Le temps alloué aux écrans récréatifs fluctuent en fonction des caractéristiques socioculturelles des familles.
- Les garçons jouent plus au jeux vidéos que les filles, qui utilisent plus les réseaux sociaux.
Le numérique nuit à la santé et au développement de l'enfant
Apprécier l’influence des écrans sur le comportement et le développement des enfants n’est pas évident. D’une part, les travaux académiques ont tendances à être très spécialisés et il est difficile d’avoir un panorama clair de la question. D’autre part, les effets du numérique sur nos enfants sont plus ou moins directes et sont donc délicat à analyser.
Par exemple, si les écrans ont un impact négatif sur le temps et la qualité du sommeil, cet effet a des conséquences multiples et pas forcément évidentes.
- Effet direct : un sommeil altéré perturbe mémorisation, facultés d’apprentissage et fonctionnement intellectuel diurne ce qui érode mécaniquement la performance scolaire.
- Effet indirect : un sommeil altéré affaiblit le système immunitaire et l’enfant risque davantage d’être malade et donc absent, ce qui contribue à augmenter les difficultés scolaires.
- Effet émergeant avec retard : un sommeil altéré affecte la maturation cérébrale, ce qui, à long terme, restreint le potentiel individuel (en particulier cognitif) et donc, mécaniquement, le rendement scolaire.
- Effet opérant en cascade : un manque de sommeil est un facteur majeur d’obésité. Or, l’obésité est associée à une diminution des performances scolaires, notamment en raison d’un absentéisme accru et du caractère destructeur des stéréotypes associés à cet état sanitaire.
Les écrans ont des effets délétères sur la réussite scolaire
On alloue de plus en plus temps au numérique récréatif alors que le temps accordé aux devoirs baisse, ce qui a des conséquences sur les résultats scolaires.
La littérature scientifique démontre de façon claire et convergente un effet délétère significatif des écrans domestiques sur la réussite scolaire : plus les enfants, adolescents et étudiants passent de temps sur les écrans, plus leurs notes chutent.
Le travail académique personnel paye un lourd tribut aux usages numériques récréatifs. L’atteinte relève alors à la fois d’un abrégement du temps dédié aux devoirs et d’une tendance à la dispersion (le multitasking) peu favorable à la compréhension et à la mémorisation des contenus appréhendés. Cette atteinte portée à la quantité et à la qualité des devoirs offre une explication directe et flagrante à l’impact négatif des écrans récréatifs sur la réussite scolaire.
Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital
Que faire pour réduire l’exposition numérique de vos enfants ?
Retarder l’accès aux écrans
- Plus tôt l’enfant est confronté aux écrans, plus il a de chances d’en devenir un usager assidu.
- Les premières années d’existence sont fondamentales en matière d’apprentissage et de maturation cérébrale : les écrans privent l’enfant d’un certain nombre de stimulations et expériences essentielles qui se révèle très difficile à rattraper.
Limiter l’accès aux écrans
- Avoir un nombre restreint d’écrans à la maison
- Retirer les écrans de leur chambre
- Retarder aussi longtemps que possible leur équipement numérique personnel (pour garder le contact, un portable basique, sans accès à Internet convient tout à fait)
Montrer l’exemple
- La consommation des enfants croit avec celle des parents. Ceci s’explique.
- Les temps d’écrans partagés augmentent globalement les durées individuelles d’exposition
- Les enfants tendent à imiter le comportement immodéré de leurs parents
- Les gros consommateurs adultes ont une vision plus positive de l’impact des écrans sur le développement, ce qui les conduit à imposer des règles d’usage moins restrictives à leur progéniture.
Être persuasif plutôt qu’autoritaire
- Pour être pleinement efficace à long terme, le cadre restrictif ne doit pas être perçu comme une punition arbitraire, mais comme une exigence positive.
- Il est important que l’enfant adhère à la démarche et en intériorise les bénéfices.
- Pour être crédible, il ne faut pas être soi-même constamment le nez sur un écran récréatif.
Quand il demande pourquoi il n’a « pas le droit » alors que ses copains font « ce qu’ils veulent », il faut lui expliquer que les parents de ses copains n’ont peut-être pas suffisamment étudié la question ; il faut lui dire que les écrans ont sur son cerveau, son intelligence, sa concentration, ses résultats scolaires, sa santé, etc., des influences lourdement négatives ; et il faut lui préciser pourquoi : moins de sommeil ; moins de temps passé à des activités plus nourrissantes, dont lire, jouer d’un instrument de musique, faire du sport ou parler avec les autres ; moins de temps passé à faire ses devoirs ; etc.
Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital