Comprendre l’impact des big data sur nos vies avec Bernard E. Harcourt

Dans la Société d’exposition, Bernard E. Harcourt analyse l’impact des big data sur nos vies et comment celles-ci s’y introduisent. Il y dévoile l’ampleur de notre démission face aux atteintes faites à nos libertés.

La société d'exposition

Bernard E. Harcourt est professeur de droit à Columbia où il dirige le Center for Contemporary Critical Thought. Il est aussi directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et avocat. Il est par ailleurs l’auteur, en français, L’illusion de l’ordre.

Bernard E. Harcourt propose une critique puissante de notre nouvelle transparence virtuelle. Il livre une analyse de ce que les technologies big data font à nos vies, et de la manière dont elles s’y introduisent, et révèle l’ampleur de notre renoncement, volontaire, à la liberté – jusqu’à l’acceptation de toutes les dérives sécuritaires. Ces atteintes à nos libertés sont flagrantes ; pourtant, nous ne semblons pas nous en soucier.

Exploitant notre désir sans fin d’avoir accès à tout, tout le temps, les géants d’Internet dressent un portrait de notre propre intimité, collectent des millions de données sur nos activités, nos centres d’intérêt et nos relations, tandis que les agences de renseignement les croisent aux milliards de communications qu’elles enregistrent chaque jour. Nous continuons cependant, et malgré notre connaissance de l’instrumentalisation de ces données, de publier nos photos de familles, nos humeurs et nos pensées. Nous donnons en caisse, en même temps que notre carte bleue, nos adresses email et postale. D’où vient le sentiment de fatalité à l’égard de cette transgression du public et du privé ?

Ce livre montre d’une manière saisissante comment les nouvelles technologies exploitent notre désir illimité d’accéder à tout, tout le temps et sans attendre – au risque de la surveillance généralisée. Et invite à la désobéissance et à la résistance.

Les libertés en danger

Bernard E. Harcourt définit le monde dans lequel nous vivons comme une « société d’exposition » où il est d’usage de s’exhiber. Les usagers du numérique n’hésitent pas à dévoiler leurs vie privées sur les réseaux sociaux sans se soucier des dangers qu’implique la transparence virtuelle à l’âge du Big data.

En effet, nos vies privées sont aujourd’hui scrutées aussi bien par les GAFAM que par les services secrets. Cette réalité pose la question de nos libertés publiques et privées, politiques et sociales. À ces interrogations, l’auteur montre et démontre que toutes nos libertés se sont réduites. Il date les débuts de ce phénomène à une vingtaine d’année, lorsque la société numérique a pris le dessus sur la société tout court.

Cela a été rendu possible par le plaisir narcissique qu’apporte les réseaux sociaux, les gadgets connectés et les différentes plateformes numériques. Cette exhibition généralisée fait des géants du web les dépositaires de la ressource la plus recherchée aujourd’hui : nos données personnelles. Celles-ci sont pour les GAFAM, notamment pour Google et Facebook, une véritable mine d’or. Elles sont vendus aux annonceurs qui en veulent pour pouvoir faire des publicités ciblée

Nous voulons être aimés, nous voulons être populaires, nous voulons être désirés - et nous voulons désirer. Ce sont précisément ces instincts qui déterminent l'état du monde numérique qui conduisent nombre d'entre nous à livrer des informations personnelles, voire intimes, avec autant de liberté et d'enthousiasme. Ce sont aussi eux qui nous exposent sans réserve à la surveillance. C'est à travers eux que nos données personnelles peuvent être collectées et analysées si facilement.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

Pour l’auteur, notre désir illimité d’accéder à tout, tout de suite, tout le temps et partout a des conséquences très graves : une surveillance de plus en plus étendues sur nos vies.

La société d’exposition

Bernard E. Harcourt identifie six caractéristiques qui structurent la société d’exposition : 

1. Transparence virtuelle

Cette transparence s’articule autour du divertissement, des désirs individuels et du Big data.

Par le désir de paraître, de s’exposer au regard d’autrui, cette nouvelle transparence, beaucoup plus insidieuse, indolore, quasiment invisible vient des individus eux-mêmes.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

2. Séduction virtuelle

Le plaisir et le désir nous poussent à nous exposer sans retenue sur les plateformes numériques.  

Nous vivons dans un espace libre où les dispositifs de contrôle autrefois coercitifs sont désormais tissés dans la trame même de nos plaisirs et de nos fantasmes.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

3. Opacité phénoménale

Contrairement à nous, ceux qui nous surveillent dissimulent leur  objectifs et ne dévoilent pas leurs informations. 

En vérité, c’est lorsque ceux qui sont vus n’en ont pas complètement conscience ou ne s’en souviennent pas que le pouvoir d’exposition opère le mieux. Le marketing est plus efficace quand les cibles ignorent qu’elles sont surveillées.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

Notre identité numérique serait la plus authentique du fait de la transparence virtuelle. 

La transparence virtuelle se targue d’une intrusion encore plus grande dans le moi « authentique ». L’ambition est d’extraire un moi véritable, qui ne soit pas simplement un artifice de la publicité et du consumérisme, qui ne soit pas seulement façonné par les appareils numériques, du moins, c’est ce que nous prétendons.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

5. Récits digitaux

Sur les réseaux sociaux, nous adoptons un discours avant tout narratif : opinions, d’histoires personnelles, mises en scène, etc.

La visibilité et l’exploration des données permettent de tisser des récits sur nos relations amoureuses et nos passions, sur nos contributions politiques et nos désobéissances, sur nos fantasmes et nos désirs. Ce collage constitué de toutes ces petites pièces de différentes couleurs compose une mosaïque de nous-mêmes.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

6. Aveux numériques

Notre existence numérique est en grande partie formée par des actes d’autorévélation (selfies, commentaires en ligne, etc.) stimulés par un profond désir de reconnaissance.

Nous passons notre temps à propager des petites pièces de puzzle dans une existence numérique de plus en plus confessionnelle, que ce soit sous la forme de selfies, de données « quantifiées » ou de vidéo-réalité.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

Tout ces caractéristiques de la société d’exposition ont un point commun : ils nous font croire que nous pouvons tout savoir sur tout et sur nous-mêmes tout en nous faisant oublier que nous sommes localisés, épiés, construits et reconstruits en permanence.

Le marché des données personnelles

La société d’exposition se caractérise par la disparition des frontières entre l’État, le commerce et la vie privée. Au cœur de ce flou croissant se trouve le marché des données personnelles. Elle constituent la ressource fondamentale de la société d’exposition.

Les frontières classiques entre politique, économie et société s’estompent rapidement. Ces trois sphères ont commencé à fusionner en une seule et gigantesque mine de renseignements, un marché colossal de données qui permet aux entreprises et aux gouvernements d’identifier et de convaincre, de stimuler notre consommation, de façonner nos désirs, de nous manipuler politiquement, d’observer, de surveiller, de détecter, de prédire et, pour certains, de punir.

Bernard E. Harcourt, La société d'exposition, 2020

Le marché des données personnelles est d’ores et déjà un secteur économique qui brasse des flux financiers considérables. En 2012, le courtage de données généré déjà pas moins de 156 milliards de dollars. Cette somme a depuis augmenté dans des proportions importantes.

La désobéissance numérique

Bernard E. Harcourt  propose deux pistes de résistance :

 1. Mieux comprendre la société d’exposition afin d’avoir un minimum de prise sur celle-ci afin de poser le diagnostic le plus pertinent possible sur nos libertés, publiques et privées. C’est cette démarche que l’auteur met en oeuvre dans son livre.

2. S’engager, seule manière concrète et efficace de lutter contre le totalitarisme qui se met en place sous nos yeux. L’auteur préconise un mouvement sans dirigeant afin d’éviter toute rivalité des egos.

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